ANTHOLOGIE SUBJECTIVE oeuvre de CHARLES JULIET |10.08.2024 | Hadewijch d'Anvers, Textes choisis et présentés par Charles Juliet | 2012
10/08/2024
Hadewijch d'Anvers était un être de feu. Un être dévoré par un désir taraudant, d'une inimaginable intensité : le désir d'atteindre ce qu'elle appelait "la fruition", cette jouissance où l'être échappe à ses limites, est porté au plus haut de lui même par une exultation, une félicité, un amour extrêmes, proprement indicibles. Mais cette transfiguration consume une telle énergie qu'elle ne peut durer. Assez vite, l'être retombe dans son quotidien, dans l'ordinaire des jours. Toutefois, ce qu'il a vécu était d'une si rare violence qu'il est repris par le désir de le vivre à nouveau. Commence alors l'attente, cette autre forme de la brûlure. Tout paraît insipide et le désir qui ne trouve pas à s'assouvir ne fait que s'exacerber. Tourments du délaissement. Espoirs déçus. Doutes. Cet instant où l'être s'embrase ne reviendra-t-il donc jamais.
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Qui était Hadewijch d'Anvers ? En fait, nous ne savons rien de la femme qu'elle a été, sinon qu'elle était sans doute d'origine aristocratique, qu'elle a vécu dans la première moitié du XIIeme siècle, et qu'elle était une béguine.
Les béguinages, communautés de béguines, sont apparus à la fin du XIIeme siècle et au début du XIIIeme en Belgique, aux Pays-Bas, dans le sud de l'Allemagne et dans le pays rhénan. Se réunissaient là des aristocrates non mariées , et des veuves. En ce temps là, bien des hommes allaient guerroyer et trouvaient la mort sur les champs de batailles.
Ces femmes menaient des vies de prière, de méditation, se livraient à des oeuvres de charité, distribuant des vivres, soignant des malades. Elles ne prononçaient pas de voeux et devaient assurer leur subsistance. En général, elles étaient mal vues par le clergé. Vivant avec austérité, elles étaient un reproche pour les clercs dépravés qui ne tenaient guères compte des valeurs évangéliques. En outre, elles se refusaient à obéir aux autorités ecclésiastiques et pour ces différentes raisons, elles furent souvent persécutées. Les béguinages furent même considérés comme des foyers d'hérésie.
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On suppose que l'activité littéraire de Hadewijch est à situer entre 1220 et 1240. Ses écrits se composent de 19 poèmes, de quatorze visions et de trente et une lettres. Pendant plusieurs siècles ces textes ont été oubliés ou peut-être mis à l'écart.
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Une faim insatiable
(Poèmes)
L'amour est un combat
Ce premier poème contient déjà l'essentiel de ce que Hadewijch va se développer dans les suivants. L'amour est un combat à mener contre soi-même et contre Celui qui parfois se dérobe. Vivre cet Amour est une aventure en laquelle il faut se risquer. Elle exige hardiesse, courage, ténacité, oblige à surmonter les épreuves qui surgissent en chemin. Hadewijch n'est pas libre de refuser ce qui lui est imposé. Bien que se sachant insuffisante, elle doit consentir à ce feu qui la possède.
"Les étranger" ce sont ceux qui n'ont ni la connaissance de cette expérience intérieure ni la connaissance de ce qu'elle vit. Ils la jalousent , lui sont hostiles, chercheront à lui causer des ennuis. Peut-être se trouve-t-il parmi eux des représentants de l'autorité ecclésiastique, voire des inquisiteurs.
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Poème 1
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Les âmes fières
qui affrontent l'Amour
ont une pensée droite et pure :
"C'est ici que la victoire m'attend.
Je veux gagner. Que Dieu m'accorde
ce qui convient au seul Amour.
Mais si tel est son bon plaisir
Le désastre sera mon honneur."
Vous tous qui désirez aimer l'Amour,
d'un coeur patient, tentez l'aventure.
Que faire, pauvre femme que je suis !
Vais-je haïr mon destin ?
Je regrette de vivre !
Je ne peux aimer ni cesser d'aimer.
De surcroît, l'aventure et le destin
se montrent cruels : je suis abandonnée
de moi-même et de tout être !
C'est une véritable injure.
Amis, laissez-vous attendrir
par celle que l'Amour a fait pleurer.
Hélas ! je fus très tôt conquise
par l'Amour
et me fiais à son pouvoir :
c'est pourquoi me condamnent
les amis et les étrangers, jeunes ou vieux,
que je sers avec application,
appelant sur eux les faveurs de l' Amour.
Amis, n'hésitez pas à prendre ma défense
puisque le sort m'est injuste.
Ah ! Pauvrette ! Je ne peux me donner
ni la vie ni la mort.
Pourquoi faut-il doux Seigneur
que ces gens veulent me nuire ?
Qu'ils nous laissent donc le soin
de me punir pour mes fautes :
vous me ferez bonne justice
et eux ne subiront aucun dommage.
C'est de la haine et non de l'amour que vous témoignez,
vous qui ne laissez pas agir le seigneur.
Ces indiscrets qui se penchent sur mon âme,
ils ne peuvent aimer l'Amour.
Mieux vaudrait pour eux qu'ils suivent le chemin
où l'on apprend à vous connaître.
Ils prétendent vous aider à me conduire
alors qu'il n'en est nul besoin.
Vous savez frapper ou absoudre
et nous mettre à l'épreuve dans la claire vérité.
Amis, prenez le parti de Dieu,
qu'il rende justice ou qu'il pardonne.
Salomon vous conseille sagement
de ne point scruter les secrets
qui dépassent nos forces,
de ne pas chercher à élucider
ce qu'on ne peut comprendre,
et aussi de laisser l'Amour
nous asservir ou nous rendre notre liberté.
Vous tous qui montez chaque jour
d'un nouveau degré jusqu'au secret de cet Amour;
[...]
Que Dieu nous donne le sens nouveau
d'un amour plus noble, plus libre.
Qu'on lui notre vie renouvelée
reçoive toute bénédiction.
Que ce goût nouveau nous donne une vie nouvelle
comme nous le donne la fraîcheur de l'amour.
L'amour est une récompense insigne et nouvelle
pour ceux dont la vie se renouvelle.
Vous qui nouvellement désirez connaître
un nouvel amour en ce nouveau printemps.
Des hauts et des bas
Hadewijch connaît parfois des heures sombres. Elle n'accède plus à l'extase, ne reçoit pas ce qu'elle espère. L'Amour la délaisse, la frustre, elle se sent abandonnée. En conséquence, elle se croit fautive, doute d'elle - même , s'adresse des reproches. Aridité. Lassitude. Abattement. C'est ce que les moines orthodoxes nomment " l'acédie", marquée par la léthargie, une attente morne, une sécheresse intérieure qui semble ne jamais prendre fin. Hildegarde de Bingen écrira : " Je ne sens rien au-dedans de moi, sinon l'inquiétude du doute et du désespoir."
L'Amour a des exigence exorbitantes. On ne peut que mal le servir, lui être étranger, souvent le trahir en ne répondant pas à son appel?
Ici où là, Hadewijch a usé de termes empruntés à la chevalerie - "assaut", "fières chevauchées" - l'une des castes de cette époque. Hadewijch a pu se reconnaître dans son idéal de loyauté, de vaillance , de fidélité.
Poème 2 ( deux premiers vers)
[...]
Qu'ai-je donc fait au bonheur
pour qu'il se refuse à moi.
[...]
CHARLES JULIET, HADEWIJCH D'ANVERS , Une femme ardente.
Textes choisis et présentés par Charles Juliet.
Points | Voix spirituelles - SAGESSES | 2012 | p. 7-9, 19-21,23
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